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Victor Hugo relate son passage à Montmort en 1838

 

 

 

( extrait )

Le pays est plat, la plaine fuit à perte de vue. Tout à coup, en sortant d' un bouquet d' arbres, on aperçoit à droite, comme à moitié enfoui dans un pli de terrain, un ravissant tohu-bohu de tourelles, de girouettes, de pignons, de lucarnes et de cheminées. C'est le château de Montmort.

Mon cabriolet a tourné bride, et j'ai mis pied à terre devant la porte du château. C' est une exquise forteresse du seizième siècle, bàtie en briques, avec toits d' ardoise et girouettes ouvragées, avec sa double enceinte, son double fossé, son pont de trois arches qui aboutit au pont-levis, son village à ses pieds, et tout autour un admirable paysage, sept lieues d' horizon. Aux baies près, qui ont presque toutes été refaites, l'édifice est bien conservé. La tour d'entrée contient, roulés l'un sur l' autre, un escalier à vis pour les hommes et une rampe pour les chevaux. Au bas il y a encore une vieille porte de fer, et, en montant, dans les embrasures de la tour, j'ai compté quatre petits engins du quinzième siècle.

La garnison de la forteresse se composait pour le moment d'une vieille servante, Mlle Jeannette, qui m' a fort gracieusement accueilli. Il ne reste des anciens appartements de l' intérieur que la cuisine, fort belle salle voutée à grande cheminée, le vieux salon, dont on a fait un billard, et un charmant petit cabinet à boiseries dorées, dont le plafond a pour rosace un chiffre fort ingénieusement entortillé . Le vieux salon est une magnifique pièce. Le plafond à poutres peintes, doréees et sculptées, est encore intact. La cheminée, surmontée de deux fort nobles statues, est du plus beau style de Henri IV. Les murs étaient jadis couverts de vastes panneaux de tapisserie qui étaient des portraits de famille. A la révolution, des gens d'esprit du village voisin ont arraché ces panneaux et les ont brulés, ce qui a porté un coup mortel à la féodalité. Le propriétaire actuel a remplacé ces panneaux par de vieilles gravures représentant des vues de Rome et des batailles du grand Condé, collées à cru sur le mur. Ce que voyant, j'ai donné trente sous à Mlle Jeannette, qui m' a paru éblouie de ma magnificence. Et puis j'ai regardé les canards et les poules dans les fossés du château, et je m' en suis allé.

Extrait de: Le Rhin, lettre à un ami, Juillet 1838

CHATEAU

DE

MONTMORT